Edito du Président : Vous avez dit laïcité ?

Notre République assure la liberté de conscience et, conséquemment, toutes les convictions et croyances. Elle admet que l’on puisse en changer ou n’en avoir aucune. Cela impose, obligatoirement, de ne reconnaitre institutionnellement aucune religion et de ne faire droit à aucune de leurs revendications. La loi protège la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas imposer sa loi. Notre laïcité est, de fait, nécessairement, anticléricale et non antireligieuse. La « Séparation des Églises et de l’État » du 9 décembre 1905, dans laquelle la liberté de conscience est faite loi, précise ces principes fondamentaux, intangibles, admis par tous.

Jean Jaurès dans son discours de Castres en juillet 1904 en explique l’usage : « Dans aucun des actes de la vie civile, politique ou sociale, la démocratie ne fait intervenir, légalement, la question religieuse. Elle respecte, elle assure l’entière et nécessaire liberté de toutes les consciences, de toutes les croyances, de tous les cultes, mais elle ne fait d’aucun dogme la règle et le fondement de la vie sociale. »

Laïcité, inopinément convoquée d’urgence, dans le « Grand débat », redéfinie, au bénéfice d’une interprétation régressive, pour un œcuménisme inconvenant : « Comment renforcer les principes de la laïcité française, dans le rapport entre l’État et les religions de notre pays ? » Les débats politiques actuels relèvent de chaque citoyenne et citoyen notre Fédération n’y prend pas part, hormis pour la remise en question du principe fondamental de Laïcité que nous avons défendu, par le passé, en toutes circonstances, indépendamment de telle ou telle majorité. Cette question incongrue ne fait-elle pas écho à un leitmotiv clérical ? « C’est très bien de vouloir rassembler les religions, mais à condition de faire droit à ce qu’elles représentent réellement. » énonçait le cardinal Vingt-Trois dans La Croix du 3 mars 2015. L’État est incompétent pour « rassembler les religions » ou promouvoir la « liberté religieuse ». La laïcité garantit, d’abord, la liberté de conscience. Ou alors, on ressuscite là une partition concordataire de la République où, « Hérité de l’histoire, le modèle alsacien-mosellan », élargi, en particulier, à l’Islam, « intéresse Paris », laissait déjà entendre, Le Figaro le 3 mars 2015.

Dans ce paradoxe, la loi de séparation deviendrait un néo-concordat. Cette revendication d’une « laïcité ouverte » aux religions était déjà, depuis l’introduction du principe de laïcité dans la Constitution de 1946, revendiquée par la revue « Esprit » en 1949. « Laïcité ouverte » qui resurgira en 1984 après l’abandon du grand Service Public Unifié de l’Education.

La laïcité n’est pas l’inter-religion de quelques cultes institutionnellement reconnus. Quid de ceux qui n’appartiennent pas à ces communautés, de ceux qui n’ont pas de religion ou ceux qui sont indifférents ou hostiles ? Cette politique remet en cause la loi du 9 décembre 1905. Les religions anciennement établies en France, en perte de vitesse, veulent réformer leur rapport à l’Etat laïque dans une reconnaissance qui préfigure un nouveau concordat

 

On pouvait penser que les tragiques événements depuis 2015 allaient conduire à clarifier l’amalgame entre politique et religion. Il en va tout autrement. C’est le principe de laïcité, déjà dévoyé et contourné, qui est remis en cause dans ses fondements institutionnels. Souvenons-nous de cet appel œcuménique du cardinal Vilnet en 1987 : « L’heure semblerait venue de travailler avec d’autres, à redéfinir le cadre institutionnel de la laïcité », appel aussitôt repris à l’unisson par ses collègues cardinaux « Entre l’Église et l’État », spécifiant qu’ « on ne peut plus parler de séparation, mais de collaboration », affirmation portée en I988 par le cardinal Decourtray aussitôt suivi par son confrère Lustiger : « Si l’Etat ne faisait pas l’effort de redéfinir les conditions de la séparation, dans l’état actuel des mœurs et de la société, il porterait gravement atteinte à un droit imprescriptible, au patrimoine spirituel qui est un bien de la nation. »

Vous avez dit laïcité ? Mais vous faites Concordat. La laïcité, principe constitutionnel, institue le primat de la liberté de conscience de chaque citoyen et non la prééminence de la liberté religieuse et la mise en place d’un œcuménisme de quelques religions reconnues.

 

La laïcité de la République, fondement de la liberté individuelle, constitue le ciment d’une société qui doit permettre, par l’éducation, l’accès de chacune et chacun à la liberté de conscience. Laïcité seule capable d’intégrer les différences pour construire l’indispensable unité de la nation dans la l’égalité des droits, la solidarité et la fraternité.

 Eddy KHALDI

20 février 2019