Edito du Président : De la gratuité de l’École laïque
La gratuité de l’enseignement dispensé dans les Écoles publiques est de moins en moins honorée au regard du devoir constitutionnel de l’Etat. Inscrit dans le Code de l’Education, pour le seul enseignement public, ce principe fondamental de gratuité, de plus en plus battu en brèche, résulte de la loi du 16 juin 1881 pour le primaire, étendu au secondaire par la loi du 31 mai 1933.
La gratuité de l’Ecole résonne, dans notre mémoire républicaine de DDEN, avec la laïcité et l’obligation scolaire, comme le premier des trois principes fondateurs pour l’égalité en éducation prônée par les bâtisseurs de l’institution publique afin d’instruire et éduquer des citoyens libres, autonomes, responsables et, tout à la fois, doués d’intelligence et d’esprit critique.
Plusieurs systèmes privés concurrents, de plus en plus, entretenus par la puissance publique, revendiquent, illégitimement voire illégalement, les mêmes droits au nom d’une « parité » communautariste et récusent les mêmes obligations au nom de leur « liberté d’enseignement ». Le communautarisme et la marchandisation constituent des dangers pour l’École publique et altèrent durablement la mixité sociale. Aussi ces principes fondateurs de l’Ecole publique n’en restent pas moins les plus efficaces antidotes.
En 1870, Jules Ferry célébrait la démocratisation de Condorcet par l’égalité en éducation, elle doit : « être universelle, c’est-à-dire s’étendre à tous les citoyens ». …. « Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle, et l’égalité des droits est pourtant le fond même et l’essence de la démocratie. ». Dès 1881, sa gratuité scolaire est contestée par l’évêque FREPPEL au nom de la charité : « … par des libéralités de toutes sortes, par des legs, des dons, des fondations particulières, sans qu’il n’en coûtât rien ni aux élèves ni aux parents… ». En 1924, l’abbé LEMIRE député récusait vigoureusement les subsides publics aux écoles privées : « … La répartition proportionnelle scolaire amenée à l’horizon politique, c’est la guerre annoncée dans chacune de nos communes… Je ne veux pas de cette guerre ! Je veux la paix dans nos communes ! Je veux que l’argent de tous aille aux écoles ouvertes à tous. … ».
Mais, aujourd’hui, avec d’autres réseaux, l’Enseignement catholique révise sa stratégie de reconquête et revendique, à partir de la loi Debré, « la parité », voire plus : « La parité n’est pas une fin en soi, elle est le moyen d’être en cohérence avec la mission qui nous est confiée par l’Église et l’État ». Une revendication qui dérive de l’égalité entre citoyens vers une « parité » communautariste. L’État ne peut devenir missionnaire des Églises ! Au nom du « libre choix » on cultive un système prosélyte subventionné. L’égalité est injustice pour ces tenants du libéralisme et du séparatisme scolaire financés par la puissance publique. Ces libéralités institutionnelles obèrent la gratuité de l’École en sacrifiant l’intérêt général pour des privilèges particuliers. Ne cherche-t-on pas à ruiner les principes fondateurs de l’Ecole avec le dessein non dissimulé de la privatiser ? Claude Dagens académicien, évêque en témoigne lucidement : « Il n’y a par conséquent, semble-t-il, plus de sens pour que l’Église occupe ce terrain (Éducation), sinon au risque de se laisser instrumentaliser au service d’une logique de privatisation, en mettant à la disposition des privilégiés des systèmes privés de soins, d’éducation… »
Depuis 1984, au nom du « libre choix » du parent-client, on a individualisé le rapport à l’école pour l’inscrire dans une logique libérale, communautariste et marchande soumise aux exigences de l’économie. L’opinion néglige l’impact économique et social d’une société éclatée et finit par s’accoutumer de cette approche exclusivement consumériste, au point de ne plus voir ce qu’elle a d’inapproprié au regard des missions originelles assignées à l’École publique et son lien consubstantiel avec les principes républicains.
Les DDEN, intimement et historiquement, attachés à la gratuité de l’École publique souhaitent réactiver et actualiser, au sein du CNAL, la « Charte de la gratuité » signée avec quarante organisations en septembre 1997.
En remettant en question la gratuité, en cherchant à commercialiser l’éducation certains la soumettent à des conditions de fortune pour restaurer et imposer l’inégalité dans l’accès au savoir. La citoyenneté, la mixité sociale constituent de nouveaux défis, de nouveaux enjeux de société pour l’École publique laïque gratuite et obligatoire et pour la République.